René Segbenou au Guatemala

Tant que les lions ne conteront pas leur propre histoire, les récits de chasse seront toujours à la gloire des chasseurs

Du 21 mars au 3 avril 2015, j’ai fait un séjour inoubliable au Guatemala, la plupart du temps au côté des peuples autochtones d’un dynamisme exemplaire,  dans la récupération de leurs identités réprimées plusieurs siècles durant par les colons envahisseurs du Guatemala. Avant ce voyage j'en avais fait cinq en Amérique du Sud. J'avais visité le Mexique, le Brésil, le Chili et l'Equateur. Mais mon dernier voyage au Guatemala a été mon vrai baptême en Amérique Centrale. Cette fois-ci je comprenais tout à demi-mot, malgré la barrière de la langue, puisque je ne parle pas encore espagnol. Je frissonnais souvent et j'avais de temps en temps la chaire de poule. Tant le sort réservé aux peuples indigènes était semblable à celui des peuples noirs; déni d'identité, oppression, caricature de la culture et de la civilisation de l'autre, arnaque et spoliation de tout genre. Mais en même temps quelle dignité ? Quelle fierté de voir des peuples debouts, déterminés à reconquérir tout ce qu'on leur a pris.

Voilà ! Ce fut la toile de fond de la lecture des nombreuses expériences qui m'ont été contées, mais que j'ai aussi vécues pendant ces moments inoubliables que j'ai passés au côté des peuples Ixil, Chorté, Xinca, Maya Kaqchikel et Mam du Guatemala, et le peuple Misak de la Colombie; la Bolivie était aussi représentée par un sage universitaire bien intégré dans sa culture.

Pour la première fois dans ma vie, dont j'ai déjà égrené sept dizaines, j'ai escaladé des montagnes, j'ai marché lentement, avec beaucoup d'effort, parfois de la peine dans les jambes pour arriver au sommet ? Mais chaque fois que je parvenais là haut, c'était le bonheur de voir des gens intégrés dans une nature qui vous enchante, des enfants qui respirent la sérénité, heureux d'accéder à tant de bonheur, avec très peu de choses. Cela vous ramène à l'essentiel et vous percevez mieux comment les superflus nous enchaînent et nous empêchent d'être heureux. Vous réalisez la vacuité de la civilisation au nom de laquelle on vous a dépossédé de tant de choses, à commencer par votre identité, pour vous surcharger de futilités. J'ai en effet constaté tout le long du voyage aller / retour de Guatemala City à Nebaj,  que le vide a été comblé par coca cola et d'autres boissons dégageant à vu d'œil des colorants; sont là aussi ce qu'on appelle "chine tock" en Afrique de l'Ouest, les gadgets manufacturés en Chine, etc.

Oui, il était vraiment temps que les peuples indigènes s'indignent et retournent à leurs valeurs et à leurs richesses. De la nourriture, il y en a de bien typiques des différentes régions visitées; de l'habillement, il y en a aussi de bien typiques et dans ce domaine, les femmes sont de loin plus attachées à leur culture que le hommes.

Pour la souveraineté alimentaire, les bases techniques et matérielles sont là : l'art culinaire et les recettes n'ont pas encore disparu; les céréales sont là, de même que les tubercules et une grande variété de légumes.


Tout ce qui précède éclaire de façon lumineuse tous les projets des universités des peuples indigènes. C'est effectivement par la science que la reconquête peut se faire de façon durable et inaliénable, car lorsqu'une personne porte la dignité et la fierté d'appartenir à un peuple ou à une communauté, elle approche autrement la connaissance, les compétences l'expertise, qui deviennent des outils de changement sociaux profonds. Les connaissances et compétences acquises dans ces conditions sont inaliénables. On n'y arrive même pas en donnant la mort.

Voilà ce sur quoi sont fondés tous les efforts des peuples indigènes pour la redécouverte, la construction et le dialogue des savoirs. Le dialogue a eu lieu entre les peuples Ixil, Chorté, Xinca, Maya Kaqchikel et Mam du Guatemala et le peuple Misak de la Colombie. Les expérience de la Bolivie étaient aussi représentées.

Le trait commun à toutes ces universités peuples indigènes est qu'elles s'enracinent fortement dans leurs cultures. Les chefs de communautés sont impliqués dans la conception et dans la mise en œuvre et de la recherche. Cette dernière  est l'occasion d'un dialogue intense des étudiants avec les peuples dont ils sont issus. Les sujets étudiés sont aussi en rapport avec l'histoire et la situation présente des peuples indigènes:

l'histoire : elle permet aux peuples indigènes d'écrire leur propre histoire; ceci a déjà un effet positif sur les relations entre les peuples indigènes et ceux qui leur rendent visite. Ce fut mon cas et c'est ce qui m'a soufflé le titre de cet article. Si je n'avais pas écouté les peuples indigènes eux-mêmes, je serais reparti du Guatemala avec une conception biaisée de leur histoire
la linguistique : elle est perçue comme un outil efficace pour récupérer et confier à l'histoire la civilisation des peuples indigènes, leurs langues, leurs visions du monde, de l'homme, de la terre, de la vie, leurs valeurs
l'agriculture : sont d'office abordées les questions de la souveraineté alimentaire, de l'agro-écologie et du développement durable, avec pour objectif de récupérer et valoriser les pratiques et les productions agricoles endogènes. Les stages pratiques se font dans les communautés.
l'art et l'artisanat : pour un retour studieux aux savoir faire et à l'ingéniosité des peuples indigènes relative au tissage, à la construction des maisons, à l'art plastique, etc.  Tout cela embrasse la géométrie, la physique et la chimie par laquelle les teintes des ancêtres sont encore présentes aujourd'hui, pour offrir les paysages colorés des marchés, des places publiques et des rues bondées de monde.

Il m'a semblé que la stratégie fondamentale dans toutes les expériences d'universités des peuples indigènes est de tout faire pour éviter désormais la rupture entre générations. C'est pourquoi la nouvelle construction du savoir renforce et crée des liens solides entre la communauté, les responsables des communautés et les étudiants, dont les progrès en science ne les coupent pas des peuples dont ils sont issus. C'est bien compris. C'est au bout de la veille corde qu'on tresse la nouvelle, si l'on veut aller loin de façon durable.

Un défi se pose à toutes ces initiatives d'aujourd'hui et de demain : leur reconnaissance au plan national et international. Créer un lieu de savoir, de récupération des connaissances ancestrales et d'aujourd'hui n'équivaut pas à la volonté de s'enfermer sur soi, de s'isoler, mais au contraire d'aller dans le concert des nations avec ses richesses à soi, à partager avec les autres. La reconnaissance est nécessaire, mais, elle ne doit pas être synonyme de ravalement  ou d'assimilation. A cet instant, recourir aux labels des universités classiques(avec leurs batteries de critères) afin d'obtenir  une reconnaissance, comme c'est le cas aujourd'hui, ne peut qu'être un pis-aller. C'est là que l'Université Internationale Terre Citoyenne (UiTC) prend tout son sens, comme un creuset au sein duquel un nouveau type de reconnaissance peut permettre de valoriser les efforts réalisés et les valeurs portées. En ce sens,  l'UiTC doit afficher son système de certification participative, avec ses principes et règles de construction collective de savoirs et de connaissances, de mise en œuvre de l'intelligence collective, tout en révélant les valeurs sur lesquelles est fondée cette expérience nouvelle. Au delà de tout critère, ce qui va compter est la qualité des "produits" de l'UiTC, qui à ce sujet, dispose d'un atout exceptionnel: sa capacité à ratisser large sur la planète, parce qu'elle intègre des expériences de plusieurs continents, de plusieurs cultures et civilisations, de différentes formes de savoirs, dans un dialogue qui ouvre toutes ces expériences les unes aux autres, dans le respect et la reconnaissance mutuels. La présence de l'UiTC au côté des peuples indigènes n'avait de sens que parce qu'elle pouvait donner de la visibilité internationale et donner toute leurs dimensions à  ces riches expériences de peuples debout qui racontent aujourd'hui leur propre histoire de la plus belle manière qui soit, se renforcent dans leur confiance et qui par ce chemin deviennent invincibles. Voilà pourquoi j'ai commencé à écrire ce petit témoignage en rappelant cet adage africain : Tant que les lions ne conteront pas leur propre histoire, les récits de chasse seront toujours à la gloire des chasseurs.  


Juillet 2015.

René M. SEGBENOU, est membre de la Direction de l'UiTC.

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